FANNY  FERRE  OU  L'INSTANT  POUR  DEMEURE

Dans le livre de la Genèse, il est écrit : L'Eternel Dieu forma l'homme de la poussière de la Terre, devenant du même coup l'ancêtre des potiers.

Faire surgir de l'argile informe une figure et lui insuffler vie relève toujours un peu de la magie. C'est la voie que Fanny Ferré explora, dès son
plus jeune âge, pour exprimer sa relation au monde et aux êtres qui l'entouraient, sans aucune distinction de genre, d'âge ou d'autorité. Très
vite, elle y jeta pêle-mêle enfants, adultes et animaux, accompagnés de deux ou trois objets associés à la vie courante.

Sensible à l'art, la famille de Fanny vivait à cette époque dans la région d'Evreux. Son père pratiquant la poterie, elle fut assez naturellement
confrontée à la terre : "Dès l'âge de neuf ans, explique-t-elle, j'ai commencé à fabriquer des cortèges de personnages. Je m'inventais un monde.
Quelques années plus tard, j'ai tourné le dos à l'école pour ne plus faire que ça. A quinze ans, j'ai consacré toute une année au modelage.
Par la suite, j'ai pu être admise sur dossier à l'Ecole des Beaux Arts d'Angers où je suis restée trois ans avant de m'inscrire à l'Ecole nationale
supérieure des Beaux Arts de Paris, dans l'atelier terre de Jeanclos où mes travaux ont pris plus de place, créant quelques problèmes de
cohabitation."

Enfant, Fanny aimait dessiner mais se sentait déjà plus à l'aise dans le volume. Face à ses deux frères, virtuoses du dessin nous dit-elle, elle
ressentait confusément le besoin de se démarquer. La sculpture allait lui fournir l'occasion de s'affirmer, de cultiver sa différence. "Au début,
mes thèmes étaient un peu enfantins, raconte Fanny. Je pouvais aussi bien fabriquer une auberge que représenter des cow-boys, en relation
avec mon univers d'alors. Une fois adulte, j'ai fait des personnages plus grands, plus proches de la taille réelle." Presque toujours en
mouvement, les "héros" de Fanny Ferré ne semblent guère avoir d'attache. Elle les décrit comme des nomades, des êtres en transhumance,
à l'instar de ces peuples perpétuellement en quête de pâturages. Tout au plus prennent-ils, à tour de rôle, un peu de repos avant de se
remettre en route pour une nouvelle étape. "Parfois - avoue l'artiste - ils me résistent, prennent le pas sur ma volonté. Ils suivent leur propre
destinée."

"Notre patrie n'est qu'un campement dans le désert " a dit un sage, soulignant la précarité des sociétés humaines.

Pour les peuples errants, se fixer c'est mourir, renoncer à l'exaltation que procure le fait d'avancer, de se rendre d'un point à un autre. Bien
qu'ancrée à son atelier, Fanny Ferré se sent foncièrement nomade, solidaire de tous ceux qui n'ont que l'instant pour demeure.

Rescapés des crises, des conflits et des préjugés de toute sorte, ils avancent, visage au vent, libérés de tout ce qui conspire à l'effondrement
de la vie. Chiens, poules, chèvres, boeufs, et chevaux cheminent à leurs côtés, formant avec eux une fratrie, une communauté de vie plus
intense que l'existence aseptisée qu'on nous offre pour horizon (quand on ne  nous prive pas des ressources de notre gagne-pain).

Pour autant, les personnages dont il s'agit ne sont nullement des fuyards, des mendigots ou des persécutés. Ils sont pétris d'humanité dans
la plus généreuse acceptation du mot. Leur vérité nous touche au coeur. La palette des sentiments s'étale sur leur visage, tour à tour affamé
d'espace, inquiet, méditatif ou volontaire. Une belle touche de sensualité souligne la fermeté des corps que l'on devine sous les vêtements
singulièrement moulant des femmes. La procession progresse vers un ailleurs dont on ignore jusqu'aux contours. Les figures de terre aux
pieds larges ne semblent pas s'en alarmer. Chacune d'elles tient son rôle dans le grand cirque universel. Petits et grands sont à égalité. Rien
n'est plus révolutionnaire que l'enfance écrivait Jean Sullivan qui, toute sa vie se tint à l'écart du conformisme spirituel, cette paresse
de la pensée.

L'enfance, voilà la clé, le mot de passe qui donne accès à l'univers rude et sauvage que nous offre Fanny Ferré. Les êtres qu'elle dépeint
n'ont que leur maigre balluchon, une carriole brinquebalante et quelques vivres pour le voyage, mais rien ne peut fléchir leur désir d'aller de
l'avant, comme si le but de l'aventure était la route elle-même plutôt que la destination de leur incessant pèlerinage. Mordant la vie à pleines
dents, ils n'ont pour guide que les étoiles et leur rêve pour quotidien.
 

Luis PORQUET
février 2013