LE
SONGE D'UNE NUIT DE FANNY FERRE
"Allons, ma reine,
dans un grave
silence,
courons après
l'ombre de la nuit"
William
Shakespeare
Partis pour toujours
et sans jamais laisser d'adresse : les êtres qui naissent depuis
un quart de siècle sous les doigts
de Fanny Ferré
ont définitivement adopté la grâce énigmatique
des nomades. Façonnées comme par le vent, leurs
silhouettes puissantes
mais gracieuses, nimbées de longues chevelures et de rares oripeaux,
n'en finissent pas de
prendre le large.
Toutes définissent la condition humaine tel un désir inassouvi
d'ailleurs, sempiternellement
dynamique. Ils
ne fuient pas. Ils cheminent.
"Je cherche à
ce que les personnages dégagent la vie" dit-elle. Les êtres
élancés qu'elle façonnent à bras le corps
mangent avec
leurs doigts et vont nus pieds. Moins par souci de misère que par
besoin de liberté : ils célèbrent les
mouvements sans
antraves et les moments sensuels, embaument le fruit sauvage, le pain chaud
et le torrent
d'altitude. Ils
empoignent une charrette à bras, montent un cheval à cru.
Allégorie de l'initiation ou de la protection,
chacun de leurs
gestes et des objets dont ils sont munis parait nécessaire, mais
s'avère poétique. La fine terre
chamottée
employée par Fanny Ferré semble davantage pétrie de
la poussière des étoiles que celle des bas-côtés.
Gestes tendres,
allures dignes : qu'ils déroulent une marche ou marquent une pause,
tous ces personnages arborent
immanquablement
un regard franc et une expression douce. Saltimbanques, musiciens ou maternités,
imaginés voilà
vingt ans, couples
et fratries, conçus dix ans plus tard, histoires d'eau imaginées
en 2011, ou de galop, en 2013, les
séries
présentées à Honfleur par la Galerie Bourdette-Garzkowski,
convoquent immanquablement des corps qui
vibrent et des
visages qui rêvent.
Inspirant et soufflant
profondèment, telle l'artiste lorsqu'elle danse le flamenco ou qu'elle
joue du violon, Ferréens et
Ferréennes
se dressent encore et toujours, inexorablement. Intemporelle et universelle
mais rustique, leur tribu a
pour caractéristiques
morphologiques des attaches fines, permettant une grande souplesse, et
des charpentes
solides, aptes
à la résistance. Et chaque nouvelle sculpture, variation
de la précédente, est conçue tel le membre utile
d'un groupe solidaire,
intuitivement concerté. Comme les silences entre les notes d'une
partition musicale, l'espace
aménagé
entre chaque oeuvre, lors de sa mise en scène, engendre une profonde
sensation d'harmonie.
Cette oeuvre est
résolument enchantée. Inspirées par la forêt,
les nouvelles sculptures en témoignent particulièrement :
panachés,
auréolés de plumes ou de feuilles, parés de dépouilles
de corbeaux ou de boucs, des personnages inédits
surgissent. Fées
en conciliabules ou chamanes envisagent des révélations,
ils s'apprêtent et guettent. Le songe d'une
nuit d'été
de Shakespeare et La Reine de la Nuit de Mozart, la Peau d'âne
contée par Charles Perrault et les sabbats
peints par Goya,
les druides celtes et les sorciers africains, les ermites au désert
et les yogis des montagnes, les
tatouages punks
et les dentelles néogothiques, tout cela et bien plus encore irrigue
l'ensemble à la clarté lunaire qui
s'impose désormais.
"Allons, ma reine,
dans un grave silence, courons après l'ombre de la nuit" dit Obéron
à Tatiana. Comme ce Roi des
fées,
les nouveaux songes élaborés par Fanny Ferré nous
convient à pactiser avec le mystère.
Une telle invitation
ne se refuse pas.
février
2016
Françoise
MONNIN
Critique
d'art - Rédactrice en chef de la revue ARTENSION
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