Fanny FERRE

Il y a entre les oeuvres de Fanny Ferré et son univers un rapport direct , raisonné, invincible ;
qu'elle n'a cessé - dès l'âge de douze ans - de préserver et dont un entêtement farouche assurera la garde.

Son matériau est le plus proche de la main d'une enfant élevée à la campagne : la terre, l'argile.
Son agent de préservation : le feu.

Et déjà, l'impossibilité de prévoir le temps pendant lequel la cuisson préservera l'oeuvre.
Chaque sculpture comporte la couleur, couleur qui imprègne l'argile et que fixe la cuisson.

Tant que vivra l'oeuvre vivra la couleur. Il faut préserver l'oeuvre, assurer sa conservation.

Pour l'enfant de douze ans, pour la fille de quatorze, de seize ans, la conservation n'est pas encore
une préoccupation : ses sculptures sont de petites dimensions et ces dimensions réduites assurent
solidité, cohérence. Mais, l'enfant se fait adulte et les sculptures - êtres humains, animaux - se font
sculptures en "dimensions réelles". Elle imagine alors, de commencer toutes ses sculptures "par le bas".

Le travail de l'argile par ajouts successifs, permet, sinon impose, cette façon de procéder. Mais les sculptures
de Fanny Ferré ne comportent aucune armature interne, aucun squelette support du matériau.
 
L'imagination et la nécessité s'unissent alors. Au fur et à mesure que la sculpture s'édifie, l'attitude de l'être
représenté - humain ou animal - doit être à la fois prévue et découverte. De plus, en plus strictement prévue.
De plus en plus fidèlement respectée. Tel déploiement de la jambe conditionne la disposition du buste.
La marge de liberté ne cesse de se restreindre.
 
Comme il faut bénéficier dans le cours du travail du séchage de la glaise, tout repentir est impossible.
Le "bas" conditionne donc totalement la progression du travail vers le "haut".
 
Il faut cuire cette sculpture . La sculpture achevée Fanny Ferré la fragmente et chaque partie
est cuite séparément.
 
Si le passage de la statuette à la statue a suivi la croissance de l'artiste, son passage de l'état de fillette
à l'état d'adulte, une autre mutation doit être remarquée.
 
Dans la statuette "enfantine" la séparation des sexes s'exprime très peu par une évidence différentiation,
et, nettement, par une différenciation des fonctions.
 
Lorsque des personnages prennent de la taille - mais pas encore leur taille réelle - les êtres du sexe masculin
affirment leur différence sexuelle en prenant la forme de chimères mi-homme mi-animal (le taureau).
 
Le corps est homme. La tête animal.

Lorsque l'enfant est femme, lorsque la taille réelle de la sculpture est atteinte la différeciation est parfaite.
 
En même temps, l'individualité est exprimée au sein de groupe. Dès ses premières sculptures Fanny Ferré
a exprimé sinon la nécessité du moins la constatation de l'existence du groupe.
 
Il y a quelque chose de la horde dans l'aventure du groupe. La chaleur du groupe que la fillette avait toujours
ressentie, son caractère indissoloble, animal, biologique, se fait ciment social. Une autre idée se dégage.
Le groupe apparaît ou plutôt se manifeste à l'occasion d'un temps fort de son aventure : la traversée du péril.
 
Mais le groupe préexistait à sa manifestation. L'obstacle franchi il se "perdra" dans un ailleurs, sans se fixer
sur la terre ferme enfin atteinte.
 
La vie en groupe est le mode de vivre affirmé.
En groupe réduit, constitué par le choix tout d'abord, détruit par la différence des aspirations ou la mésentente,
reconstitué par de nouvelles arrivées. Mais sa nature véritable comporte un ciment génétique ?
Il est "racial" et fugitif.
 
C'est en surgissant, en s'exhibant au coeur d'une action commune, en disparaissant, en réduisant
son affirmation à un passage éphémère, qu'il dit le mieux son existence.
 
Il EST parce qu'il est nomade. C'est parce qu'il est entrevue que chacun montre son visage, la personnalité
de ce visage et celle de son corps.
 
Il est remarquable que l'attention de l'artiste se porte vers l'affirmation de parties très définies de l'être humain.
Le visage et le dos. Le visage se fait image individualisée d'un caractère, d'un état de conscience,
d'un tempérament, d'un sexe, d'une fonction dans le groupe.
 
L'organisation musculaire au long de la colonne vertébrale apparaît. C'est la chute des reins de la femme
qui semble, plastiquement, le plus fortement exprimée. Le brusque évasement des hanches.
Le jeu des masses musculaires à leur naissance. Le tension des biceps cruraux nette dans la position accroupie.
 
Adulte, l'enfant sculpteur, rend leur échelle aux êtres, mais conserve, en connaissance de cause, sa vision
du monde, son insertion dans le monde, son adhésion à tout ce à quoi elle n'a cessé d'attacher du prix : la vie
dans le groupe élu - c'est la stabilité - l'amour de tous les gens du voyage - c'est la tentation de les suivre - la sculpture
qui est le seul moyen d'exprimer, par une constante, le paradoxe de l'attache et de l'exode, de l'expression
et du mystère de l'exprimé, du besoin de comprendre le monde et du refus d'un autre univers que le sien.
 

Georges Charbonnier
Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines